Stylo ou clavier

 

Le plaisir d’écrire

Qu’aimeriez-vous dire aux partisans des outils numériques

Favorables au « zéro papier »

 

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Au partisan du numérique a tout crin, je dirais que sans doute il a oublié ou  n'a jamais connu la douce émotion de trouver, dans sa boîte aux lettres, la réponse manuscrite, peut-être difficile à déchiffrer quelquefois mais tellement attendue, en réponse à la missive inquiète, passionnée ou curieuse que l'on a envoyée.

Toute invention nouvelle étouffe l'émotion que provoquait la chose  qu'elle remplace. Le confort est là  délicieux, apaisant, il nous rend paresseux. Un email, un SMS demandent beaucoup moins d'efforts qu'une lettre, les corrections immédiates évitent les ratures inesthétiques à l'écrivant, à l'écrivain.

Je lui dirais, à ce personnage du présent, du futur, que l'on récolte toujours ce que l'on a le courage de cultiver, que le numérique endort, que les émotions, sel de la vie, peuvent se payer quelquefois cher en toute chose. Il n'est que de se rappeler les innombrables collages de corrections et d'ajouts dans les pages manuscrites de la "Recherche". Et  Marcel Proust n'est il pas un maître incontestable en matières d'émotions ?

Suzanna

 

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Wikimédia     Par kevin — Flickr: minitel terminal, CC BY 2.0, 

 

 

                 Question : Existe-t-il un rapport entre des hiéroglyphes égyptiens et le manuscrit des Misérables ? Réponse : oui, la main,  ma main, qui vient à l’instant de donner vie à ces mots. Tout ça pour dire que je vais vous raconter un rêve que j’ai fait. Moi aussi. Ça commence comme un conte de fées.

     Il était une fois un nuage magique, créé par de jeunes savants surdoués, et qui fut à l’origine de la « mondialisation heureuse ».

      Quel bonheur en effet, de communiquer avec des millions de potes d’un bout à l’autre de la planète ! Mais ce n’est pas tout ! Grâce au nuage, finies les démarches administratives fastidieuses, les courses épuisantes et les rendez-vous médicaux soumis au bon vouloir d’une secrétaire capricieuse. Un clic émis de la maison, et CLAC, tout était résolu !

      Sans parler de l’énorme bénéfice écologique opéré par la déesse Cyber !  Plus de paperasses assassines de végétation ! Et à leur suite, au feu livres et cahiers, devenus désormais non seulement inutiles, mais nuisibles. Vive les écrans ! Sauvée, la forêt amazonienne. Hip ! Hip ! Hip !...

      Et puis…peu à peu, le rêve a viré au cauchemar. La déesse Cyber, en même temps que du caquet, prit le pouvoir sur le monde entier. Et grâce à ses vassaux les outils numériques, le contrôle des vies humaines. Tout était dorénavant programmé : date et lieu de naissance, études et profession, mariage (ou pas), enfants (ou pas), et bien entendu, la date de la mort. Ô sort funeste, la mienne était justement fixée au lendemain. Au secours !

      Je me suis réveillée en hurlant, en larmes et en sueur. Ouf, quel soulagement,  tout cela n’était qu’un mauvais rêve ! Néanmoins, avant de me rendormir, je n’ai pu m’empêcher de jeter un coup d’œil sur mon Minitel qui ronronnait paisiblement sur la table de chevet.

Je ne sais pas pourquoi,  je lui ai soudain trouvé un air sournois.

       El Pé

 

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Image par Susan Cipriano de Pixabay

 

 

Eté 2050 - Nathalie participe à une réunion d’information organisée par des écologistes radicaux qui après avoir supprimé l’utilisation du papier en vue de protéger les forêts, sont à la recherche de volontaires voulant bénéficier des avantages de l’utilisation d’une puce dans le cerveau.

Il s’avère qu’après la quasi-disparition des écrits et de la forte dégradation progressive de l’information verbale, il était urgent de mettre au point une méthode qui donne satisfaction.

L’implantation d’une puce collectant un volume considérable de données permettrait de nourrir une pensée correcte pour transmettre un message clair, de puce à puce, directement d’un cerveau à l’autre. Après un écrit défectueux, un oral nébuleux, on obtiendrait une pensée claire, bien formatée, universelle, exprimée sans effort d’apprentissage.

Nathalie s’était habitué à communiquer par l’intermédiaire de Zoom, de son casque virtuel, de parler à son téléphone qui enregistre automatiquement les informations ou par l’envoi de messages limités à 120 caractères. Mais la puce dans le cerveau !

Nathalie s’était construit chez ses grands-parents, un espace dans le grenier, remplit de livres, de documents du siècle écoulé. Elle aimait parcourir les histoires d’un autre temps qui la remplissait d’une délicieuse nostalgie. Elle connaissait par cœur une lettre qui la faisait frissonner à chaque phrase, avec un lent passage du temps, qui permettait d’apprécier le temps qui s’écoule par comparaison à aujourd’hui ou le temps présent est expédié à la vitesse de l’éclair.

Eté 1950. -Mon Chéri, Après une traversée en bateau qui a duré plus d’un mois, je suis enfin arrivé au dispensaire situé au milieu de la brousse pour soigner ces petits orphelins qui manque à peu près de tout……

Mon Chéri, Je surveille chaque jour l’arrivée du facteur, ce qui me rend triste à l’exception d’aujourd’hui ou tes nouvelles du mois dernier m’ont remplies d’un bonheur intense.

La nuit, je pense à toi. Je m’imagine blotti tendrement dans tes bras, dévorant le poème que tu m’as écrit pour mon anniversaire. Lorsque je mange un peu de riz cuit à la vapeur, je le sens parfumé à l’odeur de ta délicieuse ratatouille….

Je suis contente de savoir que tu arrives à peu près bien à t’organiser sans moi et que je ne te manque pas trop….

Ecris-moi ! Ecris-moi ! Je t’en supplie ! Je ne t’aime pas un peu, beaucoup ! Non ! je t’aime fort ! Je t’aime à la folie !

Christian

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Nasa, Domaine public, via Wikimedia Commons

 

 

PLAISIR D’ÉCRIRE

Année 2030, ère de Mars.

Après la grande catastrophe de 2023, les quelques survivants arrivèrent sur Mars après de longues tribulations faites d’obstacles et de grosses frayeurs. Depuis quelques décennies plusieurs pays avaient entrepris de doter la planète rouge d’infrastructures en vue d’une prochaine colonisation; ce moment était arrivé, plus vite que prévu !!!

Les voyageurs terriens exténués, secoués par les évènements fatidiques qui les avaient obligés à quitter précipitamment la Terre s’installèrent. La vie n’était pas drôle : pas de paysages luxuriants, pas d’étendues d’eau, pas de chants d’oiseaux ! Mars était une vaste planète rouge, sèche, montagneuse, poussiéreuse. Et puis vivre enfermés, ce n’était vraiment pas folichon, un confinement XXL en somme.

Lucie dut prendre son mal en patience. Elle qui aimait tant la nature, les arbres, les grandes randonnées et… et surtout lire un bon livre au coin du feu. Quelle torture !! Sur Mars rien de tout cela. Tout était à l’intérieur, tout était numérisé, même le frigo !! Il fallait lire, écrire, commander, parler et se déplacer virtuellement. Lucie avait tellement envie de tourner les pages d’un livre, de tenir un crayon en bois avec une vraie mine, de le laisser courir librement sur une belle feuille de papier blanc. Oh! Comme elle en avait envie ! Elle en rêvait toutes les nuits. Seulement voilà, sur Mars, il n’y avait ni livre, ni papier, ni crayon, rien … Et pas moyen d’en fabriquer il n’y avait pas d’arbres !!!

Lucie dut se rendre à l’évidence, son combat sur terre, son choix de vie écologique avait été inutile. Ses craintes n’avaient pas été des craintes d’illuminée (comme les gens qui la critiquaient avaient dit d’elle : une illuminée !!!).

La Terre avait bel et bien disparu et elle, Lucie, avait survécu mais sans les outils essentiels à sa vie : les arbres, la nature, la vie au soleil !

Elle n’avait plus rien à défendre, à protéger sur Mars.

Un son strident la sortit de sa rêverie, en ouvrant les yeux elle vit que l’écran géant en face de son lit s’était allumé et une voix métallique lui enjoignit de rejoindre la salle de réunion.

Chris

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Lettres d’antan

 

Zut et zut ! Pas moyen de me connecter au site d’Engie. Il ne fonctionne jamais. Soit l’identifiant est incorrect, soit c’est le mot de passe. Et toutes mes tentatives pour réinitialiser mon compte se soldent par des échecs. Il faut avouer que les outils numériques sont extrêmement pratiques quand tout fonctionne parfaitement, mais au moindre problème, on devient impuissant. Bon, j’arrête, inutile de m’énerver, je verrai plus tard.

Je vais plutôt chercher le livre de Colette que je voulais relire. Je sais qu’il est dans le meuble du salon, tout au fond, sous un petit coffret où j’ai rangé quelques souvenirs.

Une fois le coffret sorti, je l’ouvre, oubliant un moment la recherche du livre. Immédiatement, un parfum de violette, encore présent des années après, s’échappe d’un paquet de lettres, entouré d’un ruban bleu, venant de plusieurs pays du monde, du temps où mon mari, militaire, m’écrivait tous les jours, et où plusieurs lettres arrivaient en même temps, postées au hasard des escales. Certes, les nouvelles dataient pour certaines, mais elles étaient tellement attendues que le décalage ne diminuait pas le plaisir de les lire. En regardant l’écriture, je pouvais dire s’il était calme ou inquiet, je pouvais lire entre les lignes et savoir s’il était triste ou gai, et une fleur glissée dans la lettre, sentie mille fois, m’apportait un peu de sa présence. Quel plaisir pour moi de prendre le stylo qu’il m’avait offert, que nous avions touché tous deux, pour lui répondre. En bas de la lettre, je posais mes lèvres recouvertes d’un peu de rouge, pour lui envoyer tout mon amour, à l’autre bout du monde. En contemplant cette écriture, les  sentiments ressentis en lisant chacune de ces lettres m'envahissent à nouveau.

Alors je dirais oui au numérique pour sa rapidité, presque instantanée si tout fonctionne, car il est vrai que c’est merveilleux, quelquefois même indispensable, de connaître les nouvelles au moment où elles se passent, mais qu’il est agréable de pouvoir lire et relire une belle écriture, ou pas, mais une écriture authentique encore chargée de l’émotion qu’elle a fait naître et que nul ordinateur ni téléphone mobile ne saurait susciter.

Gill

 

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Image de Freepik

 

 

Inconditionnelle de la douceur du papier, de son odeur, de sa texture, j’aime sentir mon feutre glisser entre les lignes. Le feutre, comme un prolongement de ma main, qui vient se loger délicatement dans ma paume, qui caresse mes doigts. Je m’y agrippe, je m’y raccroche, piolet magique qui me sert à gravir toutes les parois, pour atteindre mes pensées. Comment remplacer cette communion de mon corps avec mes carnets, cahiers, feuillets et autres blocs-notes ? Comment laisser une trace sans papier ?

Bien sûr, les partisans du tout numérique vous diront que tout ce qui est écrit – même si ce terme me semble impropre – dans les mails, les réseaux, les blogs et autres moyens de communication ne s’efface jamais et peut toujours être retrouvé.

Mais qu’en est-il du plaisir de pouvoir tenir des écrits entre ses mains ? Quelle émotion incomparable de retrouver, au hasard d’un rangement, d’anciennes lettres échangées avec ses amis, ses amours, sa famille ! Quel plaisir de retourner la carte postale épinglée au mur et d’y découvrir une écriture, parfois oubliée, celle d’un être cher ! Que deviendront nos écrits d’aujourd’hui, faits essentiellement de courriels, de SMS, de posts ? Ils se retrouveront noyés dans les lignes des algorithmes, qui ont remplacé les lignes de nos jolis carnets.

Alors, quand mon manuscrit devient un tapuscrit – comme en ce moment même - que le bout de mes doigts caresse mon clavier, effleure les touches et que le contact avec chaque lettre dévoile et libère un mot, je ne peux pas nier qu’une certaine magie opère. Mes sens sont en éveil : le cliquetis des touches, qui compose une petite mélodie saccadée, la lumière bleue de l’écran, qui m’enveloppe avec douceur, le léger relief, presque imperceptible des lettres sur le clavier, qui vient me chatouiller.

Pourtant, même si je ne boude pas ce plaisir, rien, non rien, ne peut m’éloigner bien longtemps de mon feutre et des mes carnets. Laisser une trace indélébile, graver, offrir quelques mots doux à l’autre… Un programme que je n’échangerais pour rien au monde.

Fabienne

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